ÉNIGME EN MER

— Le colonel Clapperton ! s’exclama le général Forbes.

Il avait dit cela avec un dédain manifeste.

Miss Ellie Henderson se pencha en avant et une mèche de ses cheveux gris et soyeux lui balaya le visage. Ses yeux noirs au regard vif brillaient d’un malin plaisir.

— Un homme à l’allure si martiale ! dit-elle avec une intention malicieuse. Elle remit en place la mèche de cheveux en attendant la réaction de son compagnon.

— Martiale ? explosa le général Forbes.

Il tira sur sa moustache militaire et son visage s’empourpra.

— C’était un soldat de la Garde, je crois ? ajouta miss Henderson, poursuivant son petit jeu.

— De la Garde ! De la Garde ! Quelle blague ! Ce gars-là faisait du music-hall ! Parfaitement ! Il s’est engagé et s’est retrouvé en France à compter les boîtes de petits pois. Une bombe allemande s’est égarée et il a été rapatrié avec une blessure superficielle au bras. Il est alors entré à l’hôpital de Lady Carrington.

— C’est donc ainsi qu’ils ont fait connaissance ?

— Exactement ! Il jouait les héros blessés. Lady Carrington n’était pas très futée, mais elle était riche comme Crésus. Le vieux Carrington était dans la section des munitions. Elle n’était veuve que depuis six mois, mais ce type l’a embobinée en un rien de temps ; elle lui a obtenu un poste au ministère de la Guerre ; et voilà ! Le colonel Clapperton ! Peuh !

— Et avant la guerre, il faisait du music-hall ? murmura d’un ton pensif miss Henderson, qui essayait d’imaginer le colonel grisonnant et distingué en comédien au nez rouge chantant des airs désopilants.

— Parfaitement ! dit le général Forbes. C’est le vieux Basssingtonffrench qui me l’a dit. Il l’a appris par le vieux Badger Cotterill, qui le tenait lui-même de Snooks Parker.

Miss Henderson hocha la tête et conclut gaiement :

— Dans ce cas, on ne peut en douter !

Un sourire furtif éclaira un instant le visage d’un petit homme assis près d’eux. Miss Henderson le remarqua. Elle était très observatrice. Il indiquait que l’homme appréciait l’ironie contenue dans sa dernière remarque, ironie que le général lui-même n’avait pas perçue un seul instant.

Ce dernier n’avait pas remarqué les sourires de sa compagne et de l’homme. Il consulta sa montre et se leva en déclarant :

— L’heure de ma séance d’exercice. Il faut se maintenir en forme sur un bateau.

Sur ce, il sortit sur le pont par la porte ouverte.

Miss Henderson tourna son regard vers l’homme qui avait souri. C’était un regard sans équivoque, indiquant seulement qu’elle était prête à entamer la conversation avec ce compagnon de voyage.

— C’est un homme plein d’énergie, on dirait, remarqua le petit homme.

— Il fait quarante-huit fois le tour du pont exactement, répondit miss Henderson. Quel colporteur de ragots ! Et l’on dit que ce sont les femmes qui adorent les cancans !

— Quelle goujaterie !

— Les Français, eux, sont des hommes courtois, déclara miss Henderson.

Sa remarque renfermait une question muette.

— Je suis belge, Mademoiselle, s’empressa de répondre le petit homme.

— Oh ! Belge ?

— Hercule Poirot. Pour vous servir.

Ce nom éveillait des souvenirs dans l’esprit de miss Henderson. Sans doute l’avait-elle déjà entendu.

— Trouvez-vous ce voyage agréable, Monsieur Poirot ?

— Franchement, non. J’ai été un imbécile de me laisser convaincre de l’entreprendre. Je déteste la mer. Elle ne reste pas tranquille un instant ; non, pas une minute.

— Reconnaissez qu’elle est très calme en ce moment.

Poirot l’admit à contrecœur.

— En ce moment, oui. C’est pourquoi je revis. Je recommence à m’intéresser à ce qui se passe autour de moi ; à la façon très adroite dont vous avez manipulé le général Forbes, par exemple.

— Vous voulez dire… ?

Miss Henderson marqua une pause et Hercule Poirot acquiesça d’un signe de tête.

— La méthode que vous avez employée pour lui soutirer ces potins.

Miss Henderson rit sans honte.

— Ma petite remarque à propos des soldats de la Garde ? Je savais que cela le ferait bondir. J’avoue que j’adore les cancans, ajouta-t-elle sur un ton confidentiel en se penchant en avant. Plus ils sont malveillants, plus je les aime !

Poirot considérait miss Henderson d’un air pensif. Son corps encore sveltesses yeux noirs au regard vif, ses cheveux grisonnants ; une femme de quarante-cinq ans qui n’avait pas honte de paraître son âge.

Ellie Henderson s’écria soudain :

— Ça y est, j’y suis ! N’êtes-vous pas le grand détective ?

Poirot s’inclina.

— Vous êtes trop aimable, Mademoiselle.

Mais il ne fit rien pour l’en dissuader.

— Comme c’est excitant ! s’exclama-t-elle. Êtes-vous « sur une piste », comme on dit dans les romans. Un criminel se cache-t-il parmi nous ? Mais peut-être suis-je trop indiscrète ?

— Pas du tout. Pas du tout. Cela m’ennuie beaucoup de vous décevoir, mais je suis seulement ici, comme tout le monde, pour m’amuser.

Poirot avait dit cela d’un ton si lugubre que miss Henderson éclata de rire.

— Consolez-vous. Vous pourrez descendre à terre demain, à Alexandrie. Êtes-vous déjà allé en Égypte ?

— Jamais, Mademoiselle.

Miss Henderson se leva brusquement.

— Je pense que je vais me joindre au général pour sa promenade hygiénique, annonça-t-elle.

Poirot se leva à son tour par politesse.

Miss Henderson le salua d’un petit signe de tête et sortit sur le pont.

Une expression perplexe apparut un instant dans les yeux de Poirot, puis, un petit sourire au coin des lèvres, il quitta son fauteuil, passa la tête dans l’embrasure de la porte et jeta un coup d’œil sur le pont. Miss Henderson était appuyée au bastingage, en grande conversation avec un homme de haute stature à l’allure martiale.

Le sourire de Poirot s’élargit et il retourna à l’inférieur du fumoir avec les mêmes précautions qu’une tortue prend pour rentrer dans sa carapace. Pour l’instant, il avait la pièce pour lui tout seul, mais il supposait à juste raison que cela ne durerait pas longtemps.

En effet. Mrs. Clapperton, ses cheveux blond platine soigneusement ondulés protégés par une résilie, son corps bien conservé grâce aux massages et aux régimes, moulé dans un élégant tailleur sport, entra par la porte qui donnait sur le bar avec l’assurance hautaine d’une femme qui a toujours pu s’offrir ce qu’il y avait de plus cher.

— John ? appela-t-elle. Oh ! Bonjour, Monsieur Poirot. Avez-vous vu John ?

— Il est sur le pont de tribord, Madame. Voulez-vous que…

Elle l’arrêta d’un geste.

— Je vais rester ici un moment.

Elle s’assit en face de Poirot avec une dignité de reine. De loin, on aurait pu lui donner vingt-huit ans. Mais, de près, malgré son visage merveilleusement bien maquillé et ses sourcils à l’arc parfait, elle paraissait avoir, non pas ses quarante-neuf ans, mais bien plutôt cinquante-cinq.

Ses yeux bleu clair aux pupilles étroites avaient un éclat métallique.

— J’étais désolée de ne pas vous voir, hier soir, au dîner, dit-elle à Poirot. Évidemment, la mer était un peu agitée…

— Précisément, renchérit Poirot avec mauvaise humeur.

— Heureusement, j’ai, pour ma part, le pied marin, reprit Mrs. Clapperton. Je dis « heureusement », car, avec mon cœur malade, le mal de mer m’achèverait certainement.

— Vous avez le cœur malade, Madame ?

— Oui. Je suis obligée de faire très attention. Je ne dois pas trop me surmener. Tous les spécialistes me l’ont dit. (Mrs. Clapperton s’était lancée sur le sujet passionnant – pour elle – de sa santé.) John, ce pauvre chéri, s’épuise à essayer de m’empêcher d’en faire trop. Je vis si intensément, si vous voyez ce que je veux dire, Monsieur Poirot.

— Oui, oui.

— Il me dit toujours : « Essaie de mener une vie plus végétative, Adeline. » Mais j’en suis incapable. Pour moi, la vie est faite pour être pleinement vécue. En fait, je me suis tuée à la tâche pendant la guerre, quand j’étais jeune. Mon hôpital… vous avez entendu parler de mon hôpital ? Bien sûr j’avais des infirmières, des infirmières-majors et le reste, mais c’était moi qui le dirigeais.

Lady Clapperton poussa un soupir.

— Votre vitalité est admirable, ma chère, déclara Poirot du ton quelque peu mécanique de celui qui répond ce qu’on attend de lui.

Mrs. Clapperton éclata d’un rire de gamine.

— Tout le monde me complimente sur ma jeunesse. C’est absurde. Je n’essaie absolument pas de prétendre avoir moins que mes quarante-trois ans, poursuivit-elle avec une candeur mensongère, mais bien des gens ont peine à croire que tel est mon âge. « Vous êtes si vivante, Adeline », me disent-ils. Mais, sincèrement, Monsieur Poirot, que serait-on sinon ?

— On serait mort, répondit laconiquement Poirot.

Mrs. Clapperton fronça les sourcils. Cette réponse n’était pas de son goût. L’homme essayait de faire de l’esprit. Elle se leva et déclara froidement :

— Il faut que je trouve John.

Au moment où elle passait la porte, elle fit tomber son sac à main. Celui-ci s’ouvrit et tout son contenu se répandit à terre. Poirot se précipita galamment à son secours. Il leur fallut deux bonnes minutes pour rassembler les tubes de rouge à lèvres, poudriers, étui à cigarettes, briquet et autres objets éparpillés. Lorsqu’ils eurent fini, Mrs. Clapperton le remercia poliment et se dirigea aussitôt vers le pont en appelant :

— John !

Le colonel Clapperton était encore en grande conversation avec miss Henderson. Il se retourna vivement et vint à la rencontre de sa femme. Il se pencha au-dessus d’elle d’un air protecteur. Son transat était-il bien placé ? Ne vaudrait-il pas mieux… ? Il avait des manières courtoises, pleines d’une aimable considération. De toute évidence, c’était un mari amoureux aux petits soins pour sa femme.

Miss Ellie Henderson détourna son regard vers l’horizon, comme si cet empressement la dégoûtait.

Debout dans le fumoir, Poirot contemplait la scène.

Une voix rauque et tremblotante s’éleva alors derrière lui :

— Si j’étais le mari de cette femme, je la réduirais en bouillie.

Le vieux monsieur que les passagers plus jeunes du bateau surnommaient irrévérencieusement « l’ancêtre des planteurs de thé » venait d’entrer à pas traînants.

— Garçon ! appela-t-il. Servez-moi un doigt de whisky.

Poirot se pencha pour ramasser une feuille de papier à lettre déchirée qui avait dû tomber, elle aussi, du sac de Mrs. Clapperton. Il remarqua que c’était une partie d’ordonnance sur laquelle était prescrite de la digitaline. Il la mit dans sa poche, dans l’intention de la rendre à Mrs. Clapperton.

— Oui, reprit le vieux monsieur. C’est un vrai poison. Je me souviens d’avoir rencontré une femme dans son genre à Pounah. En 87, si je m’en souviens bien.

— Quelqu’un l’a-t-il réduite en bouillie ? demanda Poirot.

Le vieux monsieur secoua tristement la tête.

— Elle a poussé son mari dans la tombe en moins d’un an. Clapperton devrait montrer davantage d’autorité. Il fait un peu trop les quatre volontés de sa femme.

— C’est elle qui tient les cordons de la bourse, remarqua Poirot avec gravité.

Le vieux monsieur se mit à rire.

— Ha, ha ! Vous avez bien résumé la situation. Elle tient les cordons de la bourse. Ha, ha !

Deux jeunes filles firent irruption dans le fumoir. L’une d’elles avait un visage rond semé de taches de rousseur et de longs cheveux bruns flottant librement, l’autre avait des taches de rousseur également, mais des cheveux châtains tout bouclés.

— Un sauvetage ! Un sauvetage ! cria Kitty Mooney. Pam et moi allons délivrer le colonel Clapperton.

— De sa femme, ajouta Pamela Cregan.

— C’est un amour, cet homme…

— Et elle, une horrible chipie ; elle ne lui laisse rien faire…

— Et quand il n’est pas avec elle, il se fait généralement mettre le grappin dessus par miss Henderson…

— Qui est très gentille ; mais bien trop vieille.

Les deux jeunes filles traversèrent la pièce en courant et en criant entre deux gloussements :

— Un sauvetage !… Un sauvetage !

Il s’avéra le soir même que le sauvetage du colonel Clapperton n’était pas pour les deux jeunes filles le fait d’un élan passager, mais un projet permanent, lorsque Pam Cregan s’approcha d’Hercule Poirot et lui chuchota :

— Regardez bien, Monsieur Poirot. Nous allons l’enlever à sa femme et l’emmener faire une promenade au clair de lune sur le pont.

Au même moment, le colonel Clapperton disait à son voisin :

— Je reconnais qu’une Rolls Royce coûte très cher. Mais elle dure pratiquement toute la vie. Ma voiture…

— Ma voiture, tu veux dire, John, rectifia Mrs. Clapperton d’une voix aiguë.

Le colonel ne parut pas gêné du tout par cette intervention désobligeante. Ou bien il y était habitué, ou bien… « Ou bien quoi ? » se demanda Poirot, donnant libre cours à son imagination.

— Mais oui, ma chère, ta voiture.

Clapperton s’inclina devant sa femme et poursuivit ce qu’il était en train de dire avec le plus grand calme. « Voilà ce qu’on appelle le parfait gentleman, se dit Poirot. Pourtant, le général Forbes prétend que Clapperton n’est pas un homme du monde. Je ne sais plus quoi penser. »

Quelqu’un proposa une partie de bridge. Mrs. Clapperton, le général Forbes et un couple au regard d’aigle s’installèrent autour d’une table. Miss Henderson s’était excusée et était sortie sur le pont.

— Et votre mari ? demanda le général Forbes d’une voix hésitante.

— John ne veut pas jouer au bridge, répondit Mrs. Clapperton. C’est très agaçant.

Les quatre bridgeurs se mirent à battre les cartes.

Pam et Kitty marchèrent sur le colonel Clapperton et lui prirent chacune un bras.

— Venez avec nous ! lui dit Pam. Sur le pont supérieur, il y a un beau clair de lune.

— Ne commets pas d’imprudence, John, intervint Mrs. Clapperton. Sinon, tu vas attraper froid.

— Pas avec nous, répliqua Kitty. Nous sommes de vrais brandons !

Le colonel sortit avec les deux jeunes filles en riant.

Poirot remarqua que Mrs. Clapperton disait : « je ne suis pas », alors qu’elle avait initialement demandé deux trèfles.

Il sortit sur le pont-promenade. Miss Henderson était debout près du bastingage. Elle se retourna vivement lorsqu’il s’approcha d’elle et il remarqua qu’elle paraissait déçue.

Ils bavardèrent un moment, puis, comme il se taisait, elle lui demanda :

— À quoi pensez-vous ?

— Je m’interroge sur ma connaissance de votre langue. J’ai cru comprendre, tout à l’heure, que Mrs. Clapperton disait de son mari qu’il ne veut pas jouer au bridge. N’emploierait-on pas plutôt le terme : « ne sait pas » ?

— Je suppose qu’elle considère cette carence comme un affront personnel, répondit sèchement Ellie Henderson. Cet homme est complètement fou de l’avoir épousée.

Poirot esquissa un sourire dans l’obscurité.

— Ne pensez-vous pas que leur mariage puisse être une réussite, après tout ? demanda-t-il d’un ton hésitant.

— Avec une femme comme elle ?

Poirot haussa les épaules.

— Bien des femmes odieuses ont des maris dévoués. C’est un mystère de la nature. Reconnaissez que rien de ce qu’elle dit ou fait ne semble le froisser.

Miss Henderson s’apprêtait à répondre lorsque la voix de Mrs. Clapperton leur parvint de la fenêtre du fumoir.

— Non, je n’ai pas envie de faire une autre partie. Il fait si chaud ici. Je pense que je vais aller prendre l’air sur le pont supérieur.

— Bonne nuit, dit Miss Henderson à Poirot. Je vais me coucher.

Elle disparut brusquement.

Poirot se dirigea vers le salon, où seuls se trouvaient le colonel Clapperton et les deux jeunes filles. Il faisait des tours de cartes pour elles et, en remarquant la dextérité avec laquelle il battait et manipulait les cartes, Poirot se souvint que le général Forbes avait parlé d’une carrière dans le music-hall.

— Je vois que vous aimez les cartes, bien que vous ne jouiez pas au bridge, remarqua-t-il.

— J’ai mes raisons pour ne pas vouloir y jouer, répondit Clapperton avec son charmant sourire. Je vais vous montrer. Nous allons juste faire une donne.

Il distribua rapidement les cartes.

— Ramassez vos mains. Alors ?

Il éclata de rire en voyant l’expression ahurie de Kitty. Il déposa alors son jeu sur la table et les autres l’imitèrent. Kitty avait toute la suite des trèfles, Poirot celle des cœurs, Pam celle des carreaux et le colonel lui-même celle des piques.

— Vous voyez ? dit-il. Un homme qui est capable de distribuer à son partenaire et à ses adversaires les cartes qu’il veut, fait mieux de ne pas prendre part à une partie amicale ! Si la chance lui sourit un peu trop, cela risque d’entraîner des propos malveillants.

— Oh ! s’exclama Kitty. Comment avez-vous bien pu faire ? Je n’ai rien remarqué d’anormal.

— La rapidité de la main trompe l’œil, déclara Poirot sentencieusement.

À cet instant, il remarqua, un brusque changement d’expression sur le visage du colonel. C’était comme si celui-ci s’était soudain rendu compte qu’il s’était trahi.

Poirot sourit. Le prestidigitateur était apparu derrière le masque du parfait homme du monde.

Le bateau arriva à Alexandrie le lendemain matin de très bonne heure.

Lorsque Poirot monta sur le pont après avoir pris son petit déjeuner, il y trouva les deux jeunes filles, prêtes à descendre à terre. Elles discutaient avec le colonel Clapperton.

— Nous devrions descendre tout de suite, disait Kitty d’un ton pressant. Les contrôleurs des passeports vont bientôt quitter le bateau. Vous venez avec nous, n’est-ce pas ? Vous ne nous laisseriez pas aller à terre toutes seules ? Il pourrait nous arriver quelque chose.

— Je ne pense pas en effet que vous devriez partir seules, répondit Clapperton en souriant. Mais je ne suis pas sûr que ma femme soit suffisamment en forme pour descendre.

— C’est bien dommage, dit Pam. Mais elle peut rester ici à se reposer autant qu’elle veut.

Le colonel Clapperton paraissait indécis. De toute évidence, il avait très envie de faire l’école buissonnière. C’est alors qu’il remarqua la présence de Poirot.

— Bonjour, Monsieur Poirot. Vous allez à terre ?

— Non, je ne pense pas, répondit Poirot.

— Je… je vais simplement dire un mot à Adeline, décida le colonel.

— Nous venons avec vous, déclara Pam. (Elle fit un clin d’œil à Poirot.) Peut-être, pourrons-nous la convaincre de nous accompagner, ajouta-t-elle avec le plus grand sérieux.

Le colonel Clapperton avait l’air ravi de cette suggestion. Il paraissait de toute évidence soulagé.

— Alors, venez avec moi, toutes les deux, dit-il d’un ton léger.

Tous trois remontèrent l’allée du pont B.

Poirot, dont la cabine était située juste en face de celle des Clapperton, les suivit par curiosité.

Le colonel Clapperton frappa timidement à la porte de sa cabine.

— Adeline, ma chérie, es-tu levée ?

La voix ensommeillée de Mrs. Clapperton répondit de l’intérieur :

— Zut ! Qu’est-ce que c’est ?

— C’est moi, John. Cela te tenterait-il d’aller à terre ?

— Certainement pas, répondit la voix d’un ton perçant et décidé. J’ai très mal dormi. Je vais rester au lit une grande partie de la journée.

Pam intervint vivement.

— Oh ! Mrs. Clapperton, c’est vraiment dommage. Nous tenions tant à ce que vous nous accompagniez. Êtes-vous sûre que cela ne vous tente pas ?

— Certaine, répondit Mrs. Clapperton d’une voix encore plus aiguë.

Le colonel tournait la poignée de la porte en vain.

— Qu’y a-t-il John ? La porte est fermée à clé. Je ne veux pas être dérangée par les stewards.

— Excuse-moi, ma chérie, excuse-moi. Je voulais simplement mon Baedeker.

— Eh bien, tu t’en passeras, répliqua sèchement Mrs. Clapperton. Je n’ai pas l’intention de me lever. Va-t-en, John, et laisse-moi me reposer en paix.

— Mais certainement, ma chérie, certainement.

Le colonel recula et Pam et Kitty l’entourèrent aussitôt.

— Partons tout de suite. Dieu merci, vous avez votre chapeau. Oh ! mon Dieu ! j’espère que votre passeport n’est pas dans la cabine.

— Non, il se trouve que je l’ai dans ma poche… commença à dire le colonel.

Kitty lui serra le bras.

— Dieu soit loué ! Alors, en route.

Accoudé au bastingage, Poirot les regarda tous trois descendre du bateau. Il entendit alors un petit soupir tout près de lui et se retourna pour voir miss Henderson, debout à ses côtés. Ses yeux étaient rivés sur le petit groupe qui s’éloignait.

— Ils sont donc allés à terre, dit-elle d’un ton morne.

— Oui. Vous ne vous joignez pas à eux ?

Poirot remarqua qu’elle avait un chapeau de paille et un sac et des souliers élégants. Sa tenue indiquait qu’elle comptait bien descendre à terre. Cependant, après une imperceptible seconde d’hésitation, elle secoua la tête.

— Non, répondit-elle. Je pense que je vais rester à bord. J’ai beaucoup de lettres à écrire.

Elle se retourna alors et s’éloigna.

Un peu haletant après ses quarante-huit tours de pont matinaux, le général Forbes vint prendre sa place.

— Ah, ah ! s’exclama-t-il en apercevant le colonel et les deux jeunes filles qui s’éloignaient. Voilà donc ce qu’ils mijotaient ! Où est Madame ?

Poirot lui expliqua que Mrs. Clapperton comptait passer la journée au lit.

— C’est ce qu’elle raconte ! répliqua le vieux guerrier en clignant de l’œil d’un air entendu. Elle sera levée pour le déjeuner et si elle s’aperçoit que le pauvre diable est parti sans permission, il va y avoir du grabuge.

Cependant, les pronostics du général ne se réalisèrent pas. Mrs. Clapperton ne parut pas pour le déjeuner et, à quatre heures, lorsque le colonel et les deux jeunes compagnes remontèrent à bord, elle ne s’était toujours pas manifestée.

Poirot était dans sa cabine et il entendit le petit coup un peu honteux du mari lorsqu’il frappa à sa porte. Il l’entendit frapper de nouveau, essayer de tourner la poignée et finalement appeler un steward.

— Dites. Ma femme ne répond pas. Avez-vous un double ?

Poirot bondit de sa couchette et sortit dans le couloir.

La nouvelle se répandit sur le bateau comme une traînée de poudre. Les passagers horrifiés apprirent avec incrédulité que l’on avait trouvé Mrs. Clapperton morte dans sa couchette, un poignard indigène planté dans le cœur, et qu’un collier de perles d’ambre avaient été découvert à terre dans sa cabine.

Des rumeurs contradictoires se succédaient. On rassemblait, disait-on, tous les marchands de perles admis à bord ce jour-là pour leur faire subir un interrogatoire. Une somme d’argent importante avait disparu d’un tiroir de la cabine. On avait retrouvé les billets. On ne les avait pas encore retrouvés. Une fortune en bijoux avait été volée. On n’avait pas pris un seul bijou. Un steward avait été arrêté et il avait avoué être l’auteur du meurtre…

— Quelle est la vérité dans tout cela ? demanda miss Henderson à Poirot en le prenant à part.

Elle était pâle et paraissait troublée.

— Ma chère amie, comment le saurais-je ?

— Vous le savez certainement, répliqua miss Henderson.

On était en fin d’après-midi. La plupart des passagers s’étaient retirés dans leur cabine. Miss Henderson entraîna Poirot vers deux fauteuils de pont installés sur le côté abrité du bateau.

— Alors, racontez-moi tout, lui intima-t-elle d’un ton autoritaire.

Poirot la considéra pensivement.

— C’est une affaire intéressante, déclara-t-il.

— Est-ce qu’on lui a volé des bijoux d’une grande valeur ?

Poirot secoua la tête.

— Non. Aucun bijou n’a été volé. En revanche, une petite somme d’argent qui se trouvait dans un tiroir a disparu.

— Je ne me sentirai plus jamais en sécurité sur un bateau, dit miss Henderson avec un frisson. Sait-on laquelle de ces brutes de couleur café au lait a fait le coup ?

— Non, répondit Poirot. Cette affaire est assez… étrange.

— Que voulez-vous dire ? demanda miss Henderson d’un ton brusque.

Poirot étendit les mains.

— Eh bien… prenons les faits. Miss Clapperton était morte depuis au moins cinq heures lorsqu’on l’a découverte. De l’argent avait disparu. Un collier de perles gisait à terre près de sa couchette. La porte était fermée à clé et la clé n’était pas à l’intérieur de la cabine. La fenêtre – je dis bien : fenêtre et non hublot – donne sur le pont et était ouverte.

— Et alors ? demanda miss Henderson avec impatience.

— Ne trouvez-vous pas curieux qu’un meurtre ait été commis dans ces circonstances particulières ? Je vous rappelle que tous les vendeurs de cartes postales, changeurs d’argent et marchands de perles admis à bord sont tous bien connus de la police.

— Ce qui n’empêche que les stewards ferment généralement votre cabine à clé, fit remarquer miss Henderson.

— Oui, pour éliminer tout risque de petit larcin. Mais là, il s’agit d’un meurtre.

— À quoi pensez-vous exactement, Monsieur Poirot ? demanda miss Henderson d’une voix légèrement haletante.

— Je pense à la porte fermée à clé.

Miss Henderson réfléchit un instant.

— Qu’y a-t-il d’extraordinaire. L’homme est ressorti par la porte, l’a verrouillée et a emporté la clé pour éviter qu’on ne découvre le meurtre trop rapidement. Très astucieux de sa part puisque, effectivement, on ne l’a découvert qu’à quatre heures de l’après-midi.

— Non, non, Mademoiselle, vous interprétez mal ma pensée. Je ne m’interroge pas sur la façon dont il est sorti, mais sur celle dont il est entré.

— Par la fenêtre ; c’est évident.

— C’est possible. Mais la fenêtre n’est pas si large… et n’oubliez pas qu’il y avait sans cesse des allées et venues sur le pont.

— Alors, par la porte, dit miss Henderson avec irritation.

— Mais vous oubliez, Mademoiselle, que Mrs. Clapperton avait fermé la porte de l’intérieur. Elle l’avait fait ce matin avant que le colonel ne quitte le bateau. Il a effectivement essayé de l’ouvrir, en vain ; nous avons donc la preuve qu’elle était bien fermée à clé.

— C’est ridicule. Elle était sans doute coincée… ou alors il n’a pas bien tourné la poignée.

— Mais ce n’est pas sur sa parole que je me fonde. Nous avons entendu Mrs. Clapperton le dire elle-même.

— Nous ?

— Miss Mooney, Miss Cregan, le colonel Clapperton et moi-même.

Miss Henderson tapa du pied, un pied joliment chaussé. Elle resta silencieuse un moment, puis elle demanda d’un ton quelque peu irrité :

— Alors ? Quelle conclusion en tirez-vous, exactement ? Si Mrs. Clapperton a pu fermer la porte à clé, elle a très bien pu la rouvrir, je suppose.

— Précisément. Précisément, dit Poirot avec un sourire épanoui. Et vous voyez où cela nous mène. Mrs. Clapperton a, en fait, déverrouillé la porte et laissé entrer le meurtrier. Le ferait-elle pour un marchand de perles ?

Ellie Henderson objecta :

— Elle ne savait peut-être pas qui c’était. Il se peut qu’il ait frappé, qu’elle se soit levée, ait ouvert la porte, et qu’il soit entré de force et l’ait assassinée.

Poirot secoua la tête.

— Impossible. Elle était allongée sur son lit quand on l’a poignardée.

Miss Henderson dévisagea un instant Poirot.

— Quelle est votre opinion ? lui demanda-t-elle brusquement.

Poirot sourit.

— Eh bien, il semblerait qu’elle connaissait la personne qu’elle a laissée entrer…

— Vous voulez dire, demanda miss Henderson quelque peu sèchement, que l’assassin est un des passagers ?

Poirot hocha la tête.

— C’est ce qu’il semblerait.

— Et le collier de perles laissé à terre ne servirait, en fait, qu’à égarer les soupçons ?

— Précisément.

— Et le vol de l’argent aussi ?

— Exactement.

Miss Henderson resta silencieuse un moment avant de déclarer :

— Je trouvais Mrs. Clapperton très désagréable et je ne pense pas que quiconque à bord ait réellement eu de sympathie pour elle… mais personne n’avait de raison de la tuer.

— À l’exception de son mari, peut-être.

— Vous ne pensez pas vraiment…

Miss Henderson ne finit pas sa phrase.

— Tout le monde sur ce bateau pense que le colonel Clapperton aurait eu de bonnes raisons de « la réduire en bouillie ». C’est, je crois, l’expression qui a été employée.

Ellie Henderson regardait Poirot, attendant la suite.

— Mais je dois reconnaître, poursuivit celui-ci, que je n’ai personnellement noté aucun signe d’exaspération chez le brave colonel. En outre, ce qui est plus important, il avait un alibi. Il a passé toute la journée avec les deux jeunes filles et n’est remonté sur le bateau qu’à quatre heures. À cette heure-là, Mrs. Clapperton, était morte depuis longtemps.

Il y eut de nouveau silence. Puis Ellie Henderson demanda d’une voix douce :

— Mais vous pensez cependant… à un passager ?

Poirot hocha la tête.

Soudain, Ellie Henderson éclata de rire, d’un rire insouciant, plein de défi.

— Vous risquez d’avoir du mal à prouver votre théorie, Monsieur Poirot. Les passagers sont nombreux sur ce bateau.

Poirot s’inclina.

— Je dirai comme l’un de vos célèbres détectives de romans : « J’ai mes méthodes, Watson. »

Le lendemain soir au dîner, chacun des passagers trouva à côté de son assiette un mot dactylographié lui demandant de bien vouloir se trouver dans le salon à vingt heures trente. Lorsque tout le monde fut réuni, le capitaine monta sur l’estrade qui servait habituellement à l’orchestre, et prit la parole.

— Mesdames, Messieurs, vous êtes tous au courant du drame qui s’est déroulé hier. Je suis certain que vous êtes tous prêts à nous aider à livrer l’auteur de ce crime odieux à la justice. (Il fit une pause pour s’éclaircir la voix.) Nous avons à bord parmi nous M. Hercule Poirot qui est probablement connu de vous tous comme un homme ayant une grande expérience de… euh… ce genre d’affaires. J’espère que vous voudrez bien écouter attentivement ce qu’il a à dire.

C’est à ce moment-là que le colonel Clapperton, qui n’avait pas paru pour le dîner, entra et vint s’asseoir à côté du général Forbes. H avait l’air d’un homme écrasé par le chagrin et non celui d’un homme soulagé. Ou c’était un excellent comédien ou bien il avait réellement aimé son odieuse épouse.

— M. Hercule Poirot, annonça le capitaine avant de quitter l’estrade.

Poirot prit sa place. Il avait un air ridiculement suffisant lorsqu’il adressa un large sourire à son auditoire.

— Mesdames, Messieurs, attaqua-t-il, c’est très aimable à vous de bien vouloir prendre la peine de m’écouter. Le capitaine vous a dit que j’avais une certaine expérience de ce genre d’affaires. J’ai effectivement ma petite idée sur la façon dont il faut procéder dans ce cas particulier.

Il fit signe à un steward d’avancer et celui-ci lui passa un objet volumineux et informe, enveloppé dans un drap.

« Ce que je m’apprête à faire va peut-être vous surprendre quelque peu, prévint Poirot. Vous pouvez penser que je suis excentrique, peut-être même fou. Néanmoins, je puis vous assurer que derrière ma folie apparente se cache une méthode, comme vous dites, vous, les Anglais.

Les yeux de Poirot rencontrèrent ceux de miss Henderson pendant un bref instant. Il se mit alors à déballer l’objet volumineux qu’il tenait à la main.

— J’ai ici, Mesdames, Messieurs, un témoin important du meurtre de Mrs. Clapperton.

D’une main adroite, il écarta la dernière épaisseur de drap et l’objet qu’il renfermait apparut. C’était un pantin en bois presque grandeur nature, vêtu d’un costume de velours et d’un col en dentelle.

— À présent, Arthur, dit Poirot d’une voix très différente (il n’avait plus son accent étranger, mais parlait avec un bon accent anglais dans lequel perçaient des inflexions cockney) peux-tu me dire, je répète, peux-tu me dire quoi que ce soit sur la mort de Mrs. Clapperton ?

Le cou du pantin oscilla légèrement, sa mâchoire inférieure de bois s’abaissa et se mit à trembler, et une voix aiguë et criarde se fit entendre :

« Qu’y a-t-il John ? La porte est fermée à clé. Je ne veux pas être dérangée par les stewards…»

Un cri s’éleva de la salle, suivi d’un bruit de chaise renversée ; un homme se leva en titubant, la main à la gorge, essayant de parler, essayant… Soudain, il sembla se tasser sur lui-même et il s’abattit en avant.

C’était le colonel Clapperton.

Poirot et le médecin de bord se redressèrent à côté du corps prostré.

— C’est fini, je le crains, déclara le docteur d’un ton bref. Le cœur.

Poirot hocha la tête.

— Le choc d’avoir été découvert.

Il se tourna vers le général Forbes.

— C’est vous, général, qui m’avez fourni un précieux indice en parlant de music-hall. Je me suis posé des questions, j’ai réfléchi et, soudain, la réponse m’est apparue. Supposons qu’avant la guerre, Clapperton ait été ventriloque. Dans ce cas, il serait tout à fait possible que trois personnes aient entendu Mrs. Clapperton parler de l’intérieur de sa cabine alors qu’elle était déjà morte…

Ellie Henderson était debout auprès de Poirot, le regard sombre et douloureux.

— Saviez-vous qu’il avait le cœur malade ? lui demanda-t-elle.

— Je l’avais deviné… Mrs. Clapperton m’avait dit qu’elle était cardiaque, mais j’avais senti que c’était le genre de femme qui aime se faire passer pour malade. Il s’est trouvé ensuite que j’ai ramassé une ordonnance déchirée sur laquelle était prescrite une forte dose de digitaline. La digitaline est un médicament pour le cœur, mais cette ordonnance ne pouvait pas avoir été rédigée pour Mrs. Clapperton car la digitaline dilate les pupilles. Or, je n’ai jamais remarqué pareil effet chez elle. En revanche, lorsque j’ai regardé ses yeux, à lui, j’ai aussitôt reconnu les signes.

— Vous pensiez donc… que cela pourrait se terminer… de cette façon ? murmura Ellie Henderson.

— C’était la plus souhaitable, ne croyez-vous pas, Mademoiselle ? répondit Poirot avec douceur.

Il vit ses yeux s’emplir de larmes.

— Vous saviez… vous saviez depuis le début, dit-elle d’une voix entrecoupée, que j’avais des sentiments pour lui… Mais ce n’est pas pour moi qu’il a fait cela… C’est pour ces deux filles… la jeunesse… Cela rendait son esclavage encore plus insupportable. Il voulait se libérer avant qu’il ne soit trop tard… Oui, je suis sûre que c’est cela… Quand avez-vous deviné… que c’était lui ?

— Il avait une trop grande maîtrise de lui-même, répondit simplement Poirot. Sa femme avait beau se montrer parfois extrêmement blessante, cela ne semblait jamais l’affecter. Cela signifiait ou bien qu’il y était tellement habitué qu’il n’en était plus blessé, ou… eh bien, c’est la deuxième hypothèse que j’avais retenue… Et j’avais raison…

« J’avais aussi remarqué son insistance à étaler ses dons de prestidigitateur ; la veille du crime, dans la soirée, il avait fait semblant de se trahir. Mais un homme comme Clapperton ne se trahit pas. Il devait donc avoir une bonne raison de le faire. Tant que l’on croyait qu’il avait été prestidigitateur, on pouvait difficilement imaginer qu’en fait, il était ventriloque.

— Et la voix que nous avons entendue ?… la voix de Mrs. Clapperton…

— L’une des hôtesses a une voix qui ressemblait assez à la sienne. Je lui ai demandé de se dissimuler derrière l’estrade et je lui ai indiqué ce qu’elle devait dire.

— C’était une supercherie… une cruelle supercherie, s’écria Ellie Henderson.

— Je n’approuve pas le meurtre, déclara gravement Hercule Poirot.